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Dans le chapitre « Eau » du Gorin No Sho(1), Miyamoto Musashi nous indique les 5 gardes (2) de son école(3). Bien qu’il ne parle que des gardes avec un seul sabre, on retrouve bien les 5 gardes du gohou no kata enseigné dans le Noda Ha Niten Ichi Ryu qui se pratique avec les 2 sabres, mais dont la différentiation se fait par la position du grand sabre (tachi) :

  • Chudan : sabre dirigés en face de soi
  • Jodan : sabre au-dessus de la tête
  • Gedan : pointe du sabre dirigée vers le bas
  • Hidari waki : sabre dirigé vers la gauche
  • Migi waki : sabre dirigé vers la droite

 

5positions

 

 A part gedan où le petit sabre (kodachi) prend la même position que le tachi en pointant vers le bas,  les 4 autres gardes se font avec le kodachi en position chudan (pointe orientée vers le visage de l’adversaire).

Pour Miyamoto Musashi,  il n’y a « aucune autre façon de se mettre en garde » que ces 5 gardes, tout le reste n’est donc que fantaisie. Et en fait, peu importe la garde que l’on prend, car la seule chose qui compte est de pourfendre l’adversaire. Ce rappel est essentiel dans la philosophie de Musashi !

Par ailleurs, il classe les gardes en 2 catégories : grande ou petite. Dans cette dernière, il met les 2 gardes waki (côté gauche ou côté droit) qu’il considère comme des jeux qui ne sont à utiliser que lorsque la configuration des lieux ne permet pas de prendre une des gardes de la première catégorie.  Les 3 autres gardes (jodan, chudan, gedan) sont donc les « grandes gardes », considérées comme « substantielles », c'est-à-dire génératrices d’efficacité. Et parmi ces 3 gardes, la plus essentielle est chudan, sabre dirigé en face de soi, pointe vers le visage de l’adversaire.

gardes

 

Chudan, garde essentielle

Chudan est le « fond de toute mise en garde », celle qu’il convient de maîtriser parfaitement avant de s’aventurer dans les autres façons de se mettre en garde. Dans le gohou no kata, le petit sabre est d’abord placé en chudan avant que le grand sabre ne se positionne différemment pour se mettre en jodan ou waki. Musashi compare chudan à la position du général en chef d’une armée en position de bataille.

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Miyamoto Musachi, garde chudan

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Araki Akihiro sensei, garde chudan

 

Quoiqu’il en soit, Musashi termine cette partie du chapitre « Eau » par son traditionnel « réfléchissez-y bien », laissant à chacun le soin de comprendre pourquoi chudan est la garde essentielle.

 

Ne pas se préoccuper de la garde

Dans le chapitre « Vent » (4) , Miyamoto Musashi revient sur les gardes en faisant une vive critique des gardes employées dans les autres écoles ! Et il insiste sur ce qui est fondamental dans sa philosophie : se préoccuper TROP de la garde en elle-même est une grave erreur, le seul objectif d’une mise en garde étant d’obtenir la victoire.  Cela ne veut évidemment pas dire que la garde n’a pas d’importance, mais que les gardes dont les seules raisons d’être  sont  des coutumes ancestrales ou un effet de mode n’ont aucun sens.

 

 

 

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Duel entre Sasaki Kojiro et Miyamoto Musashi (à Ganryujima)

 

Etre sur ses gardes mais sans garde

Musashi explique que, s’il est vrai qu’on garde un château en restant immobile,  se mettre en garde avec son sabre signifie essayer de prendre l’initiative, à chaque instant et à chaque pas, donc en étant mobile. Et, de façon apparemment contradictoire, il ajoute que l’esprit de garde est un esprit d’attente de l’initiative de l’adversaire. La contradiction n’est qu’apparente car Musashi veut dire qu’il faut avoir l’esprit libre pour être capable de prendre l’initiative au moment opportun, ou être capable de réagir instantanément face à toute initiative de l’adversaire.  Cette initiative d’attaque que prend l’adversaire est une « fausse » initiative, car en fait elle provient d’une émotion provoquée par la garde qu’il a en face de lui, le faisant agir précipitamment et dans la peur. C’est à ce moment précis que l’on peut prendre la victoire. Miyamoto Musashi précise sa pensée en nous disant que son école, le Niten Ichi Ryu, recommande d’être « sur ses gardes mais sans garde ». Voilà pourquoi ce n’est pas dans sa forme que la garde est importante, mais dans son esprit.

Cette notion d’être « sur ses gardes » se retrouve dans la notion de zanshin que connaissent bien les pratiquants de kendo : avoir l’esprit libre pour réagir instantanément à toute attaque, ou être prêt à attaquer à l’instant même où l’adversaire relâche sa garde.

Musashi extrapole la mise en garde à la tactique de masse : savoir combien de combattants on a en face de nous, connaître le terrain sur lequel va avoir lieu la bataille, connaître les propres forces de ses soldats, les placer en fonction des qualités de chacun….

 

Prendre l’initiative ou répondre à l’initiative

En combat individuel, répondre à l’initiative de l’adversaire en parant ou déviant son sabre équivaut à une armée ripostant à une attaque en fabriquant une haie avec ses armes (lances et hallebardes) pour se protéger, tandis que prendre l’initiative de l’attaque peut se comparer à une armée qui attaque avec ses armes ou une simple haie, avec la même efficacité…

 

Prendre garde sans garde

C’est dans une autre partie du chapitre « Eau » (5) que Musashi explique que, même si il préconise les 5 positions de mise en garde, l’essentiel n’est pas dans le respect strict de la garde elle-même mais dans la position exacte du sabre, pouvant créer une multitude de positions intermédiaires. Si on est en chudan mais qu’on décide de remonter un peu la pointe du sabre, on est déjà en jodan dans notre esprit. En migi waki kamae, si la pointe se recentre un peu et se relève, c’est déjà chudan.  La seule chose qui compte, c’est que le sabre soit dans la bonne position pour pourfendre dans n’importe quelle direction et quelle que soit la réaction de l’adversaire.

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Miyamoto Musashi (Kumamoto)

  

Le principe que Musashi résume dans la maxime « prendre garde sans garde » veut donc dire cela : peu importe la garde, à partir des 5 positions il y a un grand degré de liberté pour la position exacte du sabre, et le seul objectif est de « pourfendre l’adversaire de quelque façon que ce soit ». Il ne faut pas penser à avoir une garde qui  protège. Si dans notre esprit la garde n’est là que pour éviter le sabre de l’adversaire qui attaque, ou de le dévier, le parer, le bloquer, alors on ne pourra pas le pourfendre.

Par contre, si on a une garde sans garde, dont le seul objectif est de pourfendre, alors on pourra  pourfendre l’adversaire après l’avoir évité, dévié, paré ou bloqué…

 

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Miyamoto Musashi (Ichijoji, Kyoto)

 

Et Musashi de conclure par son célèbre « réfléchissez-y bien ». Dans son esprit, cela veut dire « pratiquez bien » !

La notion de garde sans garde est évidemment intéressante à mettre en application en kendo, mais le principe va bien au-delà de l’art martial et chacun pourra y puiser un enseignement philosophique ou spirituel. Réfléchissez-y bien !

 

Olivier, le 23 juin 2013

photos (c) oriibu



(1) Gorin no sho, Miyamoto Musashi, 1643 (traduction de M et M Shibata, « Traité des Cinq Roues », Albin Michel, Spiritualités Vivantes, 1983)

 (2) partie « A propos des cinq façons de se mettre en garde »

 (3) Niten Ichi Ryu

 (4) partie « Préoccupation de la garde du sabre dans les autres écoles »

 (5) partie « Sur la recommandation "prendre garde sans prendre garde" »